Le Comité para a décidé de traduire ce billet de James Heathers, bloggeur scientifique, publié sur Medium le 13 avril 2020.
Il est également Chercheur à la Northeasthern University (site pro: http://jamesheathers.com/) et Co-anime le podcast Everything Hertz: https://everythinghertz.com/
https://medium.com/@jamesheathers/hurry-dont-rush-e1aee626e733
Traduction par Mathias Bonal
Se dépêcher, mais sans précipitation
Les dossiers Covid #1
J’aimerais vous raconter une histoire qui parle de cancer. Promis, c’est en lien avec le Covid-19.
Introduction
La chimiothérapie à forte dose : c’est violent.
Les effets secondaires qu’on peut ressentir incluent diarrhée, vomissements, lésions nerveuses, horribles nausées, perte de cheveux, etc.
Les effets secondaires qu’on ne peut pas ressentir sont, à bien des égards, bien pires. Le principal d’entre eux est d’empêcher la moelle osseuse de fabriquer de nouvelles cellules sanguines. Les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes sont ainsi détruits. Avec suffisamment de chimiothérapie vous vous retrouvez sans système immunitaire fonctionnel.
Et pourtant, c’est bien utile un système immunitaire.
À la fin des années 80, un médecin sud-africain s’est montré très confiant quant à la possibilité de combiner une chimiothérapie avec une greffe autologue de moelle osseuse dans le traitement du cancer du sein.
Cette procédure est extrêmement désagréable, mais on peut en deviner immédiatement la logique sous-jacente :
(1) prélever la moelle osseuse d’un patient et la préserver : la moelle osseuse joue le rôle principal dans la fabrication de nouvelles cellules sanguines de tous types ;
(2) administrer une chimiothérapie à forte dose ;
(3) transplanter la moelle osseuse fonctionnelle prélevée chez le même patient.
(Remarque : ce traitement est extrêmement désagréable à vivre.)
Résultat ? Un système immunitaire fonctionnel même après avoir reçu des doses colossales d’agents chimiothérapeutiques. En effet, la chimio stoppe la division cellulaire partout (dans les cellules cancéreuses + dans toutes les autres), ce qui force à limiter la quantité de chimio à administrer en fonction de la dépression de la moelle osseuse.
Il faut donc prélever ce qui va constituer en fait un système immunitaire de secours, administrer une tonne de médicaments, puis réinjecter ce système de secours.
C’est compliqué ? Oui, c’est compliqué. Ça implique des procédures multiples ? Oui, également. Mais qu’en est-il de la survie du patient ?
Apparemment, elle était considérablement améliorée à la suite de cette procédure. Les résultats étaient remarquables. Le médecin, le Dr. Werner Bezwoda, est devenu instantanément célèbre. Au début des années 90, il donnait des conférences et interviews partout à travers le monde, une pop star de l’oncologie.
Des cliniques ont dédié des espaces entiers de leurs infrastructures à l’application de cette procédure. Le nombre de greffes de moelle osseuse pratiquées dans le monde a explosé. Et la procédure a reçu un coup de projecteur massif au début des années 90 lorsqu’une patiente nommée Nelene Fox a attaqué sa mutuelle en justice pour lui avoir refusé de couvrir la procédure.
En fait, ce coup de projecteur n’est pas dû au simple fait que Nelene Fox ait intenté un procès, puisqu’ÉNORMÉMENT de gens ont poursuivi leur assurance pour ne pas avoir couvert ce qui était encore considéré comme une procédure expérimentale. Mais dans son cas, elle a lancé un procès, ensuite l’affaire a traîné en longueur alors qu’elle était de plus en plus malade, et puis elle est morte… et sa succession a obtenu gain de cause. Toute l’affaire a été présentée comme le combat d’une femme malade contre une société sans cœur qui a fini par la tuer.
[Texte surligné]
Les médecins de Mme Fox avaient recommandé cette procédure, mais Health Net a décidé qu’elle était expérimentale et peu susceptible d’améliorer les chances de survie de Mme Fox, car son cancer s’était métastasé.
De nombreux cancérologues recommandent la greffe autologue de moelle osseuse comme dernier espoir pour les femmes atteintes d’un cancer du sein à un stade avancé, même s’il n’y a toujours pas de preuve définitive qu’elle améliore la survie des patientes dans de tels cas.
[…] L’absence de traitement efficace contre le cancer du sein – une maladie mondialement répandue – a fait de la greffe de moelle osseuse autologue l’objet de dizaines de procès contre les assurances maladie, pour des résultats mitigés.
La publication ci-dessus date de 1994, et reflète bien la tension entre les assureurs, les médecins et les patientes… et il contient une phrase cruciale : « pas de preuve définitive qu’elle améliore la survie ». On va y revenir.
Ce qu’elle ne transmet pas, c’est le contexte historique. Le cancer du sein paraît toujours effrayant aujourd’hui, alors que le taux de survie sur 5 ans pour ce cancer est maintenant d’environ 90%. L’oncologie a fait d’énormes progrès. Mais à la fin des années 80 et au début des années 90, il était beaucoup plus effrayant et généralement considéré comme une condamnation à mort.
Les gens étaient donc prêts à tout essayer. Et c’était bien là le problème.
Alors que les cliniques créaient des ateliers de transplantation et que des particuliers payaient des dizaines de milliers de dollars américains pour recevoir ce traitement dans un cadre privé, les scientifiques qui cherchaient à recruter des personnes pour tester le protocole du Dr. Bezwoda faisaient face à un problème : ils ne trouvaient personne pour participer à leurs essais cliniques visant à tester ce traitement.
Ainsi, non seulement la procédure n’était pas testée, mais en plus elle devenait difficilement testable, car quel patient s’inscrirait dans un essai clinique où on peut être affecté de manière aléatoire à un groupe contrôle, dans lequel on ne bénéficierait pas d’un traitement susceptible de lui sauver la vie ? Qui aurait envie devenir un chiffre de plus dans la colonne « décédée » pour permettre à quelqu’un d’autre de se retrouver dans la colonne « guérie » ?
[Texte]
Entre 1991 et 1999, environ 40 000 femmes dans le monde ont subi une greffe autologue de moelle osseuse pour traiter un cancer du sein, pour un coût estimé entre 2 et 4 milliards de dollars (environ deux fois le budget annuel du NCI – Institut National du Cancer américain – selon l’estimation la plus élevée). Pendant ce temps, le recrutement de patientes pour les essais cliniques, y compris l’essai du Dr Peter à Duke, a failli être interrompu. Le contraste était frappant: alors même que les cliniques débordaient de femmes traitées par des chimiothérapies à fortes doses et que les services remplissaient leurs lits de patientes transplantées, la mesure fondamentale visant à tester l’efficacité de ce protocole a été mise de côté, un peu comme si on comptait y penser après coup. « Des greffes, des greffes partout » comme l’a dit Robert Mayer, « mais pas une seul patiente à tester ».
Ces essais ont duré des années en raison de leur faible taux de recrutement et la frustration croissante qu’ils engendraient, mais ont finalement conclu que le traitement n’avait pas fonctionné : aucune amélioration des taux de survie.
Une équipe s’est donc rendue en Afrique du Sud pour inspecter le travail du Dr. Bezwoda. Ils avaient peut-être manqué quelque chose. D’où venaient ces chiffres incroyables ?
Réponse : du vent. Les essais cliniques étaient une imposture. Le traitement était affligeant. Les protocoles n’avaient pas été enregistrés. Les participantes étaient très probablement mortes. Les archives n’avaient très probablement jamais existé.
[Traduction]
En décembre 1999, alors que les bénéfices du protocole étaient encore incertains et que des milliers de femmes réclamaient un traitement, une équipe d’enquêteurs américains écrit au Dr. Bezwoda […] pour lui demander s’ils pouvaient se rendre à Johannesburg afin d’examiner en personne les données de son essai clinique. Les transplantations du Dr. Bezwoda sont les seules qui ont réussi. Peut-être pourrait-on en tirer d’importantes leçons et les rapporter aux États-Unis ?
Le Dr. Bezwoda accepte immédiatement. Le premier jour de la visite, lorsque les enquêteurs lui demandent les dossiers et les registres des 154 patients de son étude, Bezwoda ne leur fournit que 58 dossiers – tous, bizarrement, provenant du groupe « traitement » de l’essai. Lorsque l’équipe fait pression pour obtenir les dossiers du groupe contrôle, Bezwoda leur qu’ils ont été « perdus ».
Perplexe, l’équipe a continué à chercher, et le tableau a commencé à se noircir. Les dossiers fournis étaient incroyablement bâclés : des notes tenant sur une page, griffonnées au hasard et comme reconstituées par après, résumant six ou huit mois de soins supposés. Les critères d’éligibilité à l’essai clinique étaient quasiment toujours absents des dossiers. Le Dr. Bezwoda prétendait avoir transplanté un nombre égal de femmes noires et blanches, mais presque tous les dossiers concernaient des femmes noires, pauvres et à peine alphabétisées, traitées à l’hôpital Hillbrow de Johannesburg. Lorsque les examinateurs ont demandé à consulter les formulaires de consentement [normalement obligatoires] pour une procédure connue pour avoir des conséquences potentiellement mortelles, aucun de ces formulaires n’a pu être trouvé. Les commissions d’examen de l’hôpital, chargées de sauvegarder ces protocoles, n’en avaient évidemment aucune copie. Personne, semblait-il, n’avait approuvé la procédure ou ne possédait la moindre petite information sur l’essai. De nombreux patientes comptés comme « vivantes » avaient depuis longtemps été renvoyées dans des établissements de soins de fin de vie avec des lésions fongiques avancées dues au cancer du sein, vraisemblablement pour y mourir, sans aucun suivi désigné. Une des femmes issues du groupe « traitement » n’avait jamais été traitée avec des médicaments. Un autre dossier de patient s’est révélé, après qu’ils aient remonté à son origine, être celui d’un homme – manifestement pas un patient atteint d’un cancer du sein.
La suite importe peu.
Pour l’instant, il faut garder les points suivants à l’esprit :
- le besoin pressant face à un danger imminent ;
- un traitement fort, audacieux et risqué présenté par un sauveur lunatique ;
- l’empressement à l’utiliser, et la confiance exagérée née des résultats des travaux initiaux;
- l’amplification et la complexification du problème lorsqu’il atteint le domaine public ;
- les difficultés à effectuer des essais cliniques parce que la demande et l’accès ont complètement dépassé la capacité à fournir une plate-forme d’essai contrôlée ;
- et la déception finale, en raison du manque de fiabilité des travaux originels.
…parce que c’est ce qui se passe en ce moment avec l’hydroxychloroquine (HCQ), j’en ai bien peur.
À cause de la pagaille actuelle causée par le Covid-19, j’ai peur que nous recommencions à faire ce qui a été décrit précédemment, mais en accéléré. L’affaire Bezwoda s’est déroulée sur plus d’une décennie, alors que ce qui nous concerne actuellement a pris environ un mois.
Et une inquiétude bien plus grande vient s’y associer : nous risquons de le reproduire également. D’autres traitements. D’autres miracles. D’autres procédures.
J’espère me tromper, mais les faits sont suffisamment transparents pour nous laisser quelques indices. Considérons la HCQ comme un exemple de déception à la Bezwoda, et voyons si je me la joue.
C’est parti.
Se dépêcher, mais sans précipitation
Ce qui suit est un résumé très succinct des preuves scientifiques de l’utilisation de la HCQ comme traitement de première intention contre le Covid-19 en ce moment. La situation est très volatile, et a changé de jour en jour au fur et à mesure que j’ai écrit et édité ce document, j’espère donc qu’il est exact au moment de sa publication (N.B. le 13 avril).
Je vous invite à consulter les sources ci-jointes (attention : 20 000 mots minimum) et à vérifier mes interprétations.
- La première étude sur la HCQ présente de graves problèmes : les données sont étrangement censurées, la période de suivi de 14 jours est plus longue que le délai entre l’approbation de l’étude et la publication du manuscrit (et les données de suivi ne sont inexplicablement pas disponibles), le groupe contrôle et le groupe traité provenaient de sites hospitaliers différents, les tests de la charge virale n’étaient pas fiables, la taille de l’échantillon est incroyablement petite, etc. Dans des circonstances normales, une revue scientifique aurait immédiatement rejeté cet article. Immédiatement.
- L’article a été publié à la vitesse d’une revue prédatrice (c’est-à-dire presque instantanément) dans n journal où les auteurs de l’article ont des affiliations existantes et/ou un contrôle éditorial. L’évaluation par les pairs a été au mieux superficielle. Elsevier (propriétaire de la revue) vient de publier une déclaration qui nous assure que « le processus standard d’évaluation par les pairs de cette revue a été respecté dans la publication de cet article». Bien évidemment, le processus standard d’évaluation par les pairs ne permet pas qu’un article puisse être examiné et accepté en 24 heures, donc cela semble…faux.
- Les résultats ont ensuite été fortement promus par – je vous le donne en mille – un avocat. Il s’est revendiqué de toute une série d’affiliations académiques et d’une autorité qui semble, au mieux, discutable. Si ce n’est pas un escroc, il porte assurément un costume d’escroc.
- L’auteur/institut a produit une série inquiétante d’articles scientifiques antérieurs contenant des chiffres qui se recoupent et se chevauchent. Je ne connais pas les détails de la réputation qu’ils ont dans leur domaine scientifique, mais dans tous les domaines que je connais, cela m’inspirerait beaucoup de méfiance.
- La Société internationale de chimiothérapie microbienne a publié une déclaration qui nous apprend que la première étude n’a pas répondu aux normes attendues par la Société. C’est un acte extrêmement inhabituel, pour une société, de censurer un article publié dans une revue qui lui est affiliée, sans l’aval explicite de la revue elle-même.
- La deuxième étude sur la HCQ n’avait pas de groupe de contrôle. A-t-on besoin d’aller plus loin ? Si les patients sont traités pour une maladie et se rétablissent…ils se rétablissent par rapport à quoi ? Si on suit ce procédé, alors le fait de frotter un pingouin sur le lobe de l’oreille guérit la grippe saisonnière dans 99 % des cas, car les gens vont généralement mieux de toute façon. Avec ce genre de « preuves », il est tout aussi logique de se précipiter dans l’enclos des pingouins du zoo du coin si vous avez un petit rhume.
- La HCQ entraîne des effets secondaires importants. Comme elle est déjà distribuée sans discernement, souvent à des personnes souffrant de pathologies préexistantes, cela constitue un Problème Grave.
Ce qui précède n’est peut-être pas ce à quoi vous vous attendiez, surtout si l’on considère tout le tapage médiatique autour de la HCQ. Mais c’est le constat le plus réaliste que je puisse faire, et je ne pense vraiment pas être en train d’écrire un billet d’humeur : ce sont les faits.
J’ai récemment expliqué ce qui précède à quelques non-scientifiques, généralement dans un langage plus coloré, et ils réagissent toujours par de la confusion. Comment cela se fait-il ? Comment avez-vous tous pu laisser faire cela ? Pourquoi est-il possible de faire cela ?
La réponse est simple : parce que c’est un symptôme du monde scientifique au sens large en ce moment. Je résumerais malheureusement la situation de la façon suivante :
[A] Certains scientifiques dont on voit les travaux publiés dans le domaine public en ce moment produisent des recherches de qualité et de valeur à une vitesse étonnante, ce qui nous aide à comprendre ce qui se passe et comment y réagir.
[B] Certains scientifiques dont on voit les travaux publiés dans le domaine public en ce moment sont des requins sans âme, avides d’attention, et ils produisent des travaux terribles qui vont tuer des gens. Moins grave, mais tout de même problématique, du haut de leurs chevaux de bataille personnels, ils se fraient un chemin dans le paysage des « revues systématiques » bâclées pour valoriser la façon dont leurs recherches vont éclaircir le paysage post-Covid-19 et payer un poney à tout le monde.
[C] La raison principale de [B] est que des discussions stratégiques sur la manière de capter les fonds de recherche sur le Covid-19 ont commencé il y a déjà plusieurs semaines. Certains scientifiques font des recherches qui sont très susceptibles de répondre aux questions qui concernent une pandémie virale mondiale (les personnes qui étudient les globules et les virus, par exemple). Pour d’autres, le lien est plus ténu. Pour d’autres encore, le rapport est un fantasme absolu, et un exercice de gymnastique mentale. Quoi qu’il en soit, ils demanderont tous de l’argent lorsqu’il y en aura, et orientent leur recherche dès maintenant pour pouvoir le faire.
[D] Les raisons expliquant [C] sont les suivantes :
- la science en général est sous-financée et beaucoup de scientifiques, même très performants, se battent pour de l’argent ;
- beaucoup d’emplois scientifiques, ainsi que la sécurité de l’emploi qui les accompagne en temps normal, sont déjà en train de disparaître, et beaucoup de financements scientifiques réguliers vont très probablement diminuer encore dans un avenir proche en raison de l’environnement économique post-Covid-19, c’est pourquoi tout le monde s’inquiète de la viabilité à court et moyen terme de sa recherche ;
- les universités et les organismes de financement ont déjà commencé à financer des projets concurrents pour résoudre les problèmes liés au Covid-19.
Voilà donc ce qui se passe au niveau macro-économique. Il est également utile d’expliquer les motifs et le contexte qui se cachent derrière ce qui précède.
Des héros qui se hâtent, des requins qui se précipitent
Il y a deux raisons pour tenter de précipiter les travaux scientifiques vers la publication en cas de crise, et celle que tous les chercheurs vous avanceront est que nous avons besoin d’informations immédiatement, pour aider à résoudre le problème. Ainsi, la recherche est produite, examinée et diffusée plus rapidement. Nous devons agir maintenant, nous dit-on, et la science répond à l’appel. Il y a des gens qui consacrent un nombre d‘heures héroïque à des activités qui vont, en réalité, vraiment nous aider.
La raison pour laquelle on en parle moins est que les premières personnes à publier des travaux liés au Covid-19 vont s’attirer beaucoup d’attention, et qu’elles sont alors dans une position idéale pour ouvrir la bouche en premier devant le tuyau d’arrosage financier destiné à l’atténuation de la pandémie qui coule déjà des organismes de financement scientifique.
Il est très difficile de faire un travail scientifique nouveau de manière précise ET rapide ET complète, surtout lorsque des sujets humains sont impliqués (et ils le sont souvent dans notre cas). Cela soulève la simple réalité que les scientifiques publient actuellement des résultats spéculatifs, incomplets ou partiels sans faire preuve de la diligence habituelle.
Ce n’est pas nécessairement un problème. Il est tout à fait possible de publier des informations partielles de manière responsable, avec un examen superficiel ou sans examen formel par les pairs. Cette question est débattue depuis longtemps au sein de la communauté de l’Open-Science, car nous avons déjà eu cette conversation à propos des prépublications (documents scientifiques rendus publics en ligne avant leur publication officielle). J’ai un texte non publié de trois mille mots dans un tiroir sur le sujet.
En tout cas, voici ce qu’un auteur responsable d’une prépublication ou d’une « étude sous contrainte » peut faire pour être plus raisonnable :
(1) Exposer de manière réaliste les limites de l’article. Être bien conscient de ce qui peut mal se passer dans la recherche. Ça devrait être un réflexe.
(2) Lorsqu’on fait des commentaires en public, essayer de leur donner une perspective. Il faut s’y préparer car on sait que l’intérêt sera immédiat et extrême. Il faut prendre une décision sur ce qu’il est ou non responsable de représenter de façon simple auprès des médias et du grand public.
(3) Engager délibérément des experts dans les domaines appropriés pour évaluer publiquement ses informations. Si les travaux doivent être lus par des experts, les trouver soi-même. En particulier, présenter son travail à des personnes qui pourraient ne pas être d’accord avec son contenu.
(4) Admettre qu’il existe des critiques de son travail , puis s’efforcer d’y répondre. On diffuse un document avant sa publication officielle pour qu’il fasse l’objet d’une DISCUSSION. Si c’est le cas, se mettre au travail et en discuter.
(5) Mettre à jour sa prépublication ! L’article n’est pas encore publié. On peut y faire ce que l’on veut.
Mon impression actuelle est que c’est exactement le contraire qui se produit en ce moment. Je pense qu’il est plus juste de dire que nous constatons une ruée vers le positionnement : des articles publiés avec une promotion médiatique à couper le souffle, une confiance exagéré dans les résultats qui sont sur-vendus ou, dans certains cas, presque incohérents, et une certaine réticence à s’engager dans un débat public, en particulier de la part des auteurs. Cela n’empêche pas ces derniers, bien sûr, de se cacher derrière le stéréotype du « on pose juste des questions » ou « on soulève juste des problèmes ». Se contenter de poser des questions, c’est bien, jusqu’à ce qu’on se mette les doigts dans les oreilles quand on obtient des réponses virulentes.
Conclusion
Ne vous y trompez pas : nous avons besoin de la science dès maintenant. Il y a un problème mondial dont la solution se trouve directement dans le domaine de la construction de connaissances empiriques sur le monde naturel. Cela s’accompagne d’une sorte de ruée vers l’or, tant pour l’argent que pour la notoriété.
Mais il existe d’importants précédents historiques de mauvais travaux scientifiques qui gaspillent des millions de dollars et d’heures. Il existe aussi des précédents dans le cas particulier de travaux qui répondent à un besoin immédiat en ont l’air cool, mais qui se révèlent complètement surfaits. Et à l’heure actuelle, la mauvaise science, non contente de ralentir le progrès, pourrait directement être intégrée au cœur de l’élaboration des politiques mondiales. Ce n’est donc pas un euphémisme comme « problématique » que nous devrions utiliser, mais plutôt la qualifier de dangereuse.
J’espère que cela n’arrivera pas, mais il faut reconnaître que cela se produit déjà lorsque la Terre tourne tranquillement autour de son axe habituel. Or, en ce moment où elle s’emballe, la situation peut bien empirer, voire résulter en une pile de cadavres.
Le besoin urgent d’information ne doit pas signifier qu’il faut se précipiter pour produire rapidement des informations peu fiables et qu’il faut tenter de caser sa thématique de recherche comme étant au centre du problème. Se dépêcher oui, mais sans précipitation.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9publication_(%C3%A9dition_scientifique)