N.B.: L’auteur de cet article est Cyril Gambari, Docteur en Microbiologie et aujourd’hui professeur de Biologie-Écologie dans un lycée agricole en région Occitanie. Il tient depuis 2 ans un site de vulgarisation et d’enquêtes où il parle d’anthroposophie, et plus spécifiquement de biodynamie. Il essaie, via ses publications sur son site et sur Twitter, d’informer sur ce domaine, sources scientifiques à l’appui, et d’alerter sur les dérives qu’il cause. Le Comité ayant déjà apporté son soutien public et financier à Grégoire Perra quant aux mises en examen perpétrées à son encontre par des anthroposophes, il nous semblait important de parler de cette affaire qui a fait grand bruit dans le monde du journalisme et sur les réseaux sociaux dans la sphère sceptique cet été.
Retour sur l’affaire #LeMondeGate.
L’affaire a fait grand bruit sur Twitter, l’enquête du célèbre journal de référence n’est pas du goût de tout le monde. Revenons sur l’origine du fiasco #LeMondeGate.
Et pour cause, le journal Le Monde nous propose pour sa série de l’été 2021 un dossier enquête “Rudolf Steiner, penseur alternatif” en cinq articles. Si vous n’êtes pas au fait de qui est Rudolf Steiner, ce n’est autre que le fondateur de la Société Anthroposophique Universelle, et si parler d’anthroposophie en Une d’un dossier complet n’est pas courant, en dire du bien est problématique comme nous allons le voir.
L’anthroposophie.
L’anthroposophie est une doctrine découlant directement de la vision occulte et spirituelle qu’avait Rudolf Steiner sur le monde. Ce mouvement philosophico-spirituel (rapport de la Miviludes de 2016) essaye de rayonner dans toutes les franges de la société via ses annexes : les écoles Steiner-Waldorf, l’agriculture biodynamique, la médecine anthroposophique, des banques comme La Nef, des produits cosmétiques ou pharmaceutiques comme Weleda ou Dr Haushka.
En France, lorsque l’on s’intéresse à l’anthroposophie, un visage et une voix apparaissent en premier, ceux de Grégoire Perra et les nombreux articles publiés sur son site “la vérité sur les écoles Steiner-Waldorf” (témoignage à écouter également chez Méta de Choc ici et sur la Tronche en Biais ici).
Grégoire Perra, qui a étudié dans les écoles Steiner Waldorf (SW) puis est devenu professeur dans ces établissements, dénonce tous les côtés de l’anthroposophie, lui qui a été très jeune endoctriné dans ce mouvement tentaculaire.
Mais bien que ce soit un unique témoignage qui est le plus bas niveau de preuve lorsque l’on exerce la méthode scientifique, les langues se délient peu à peu (voir aussi ici). Pour avoir une vision plus globale des problèmes inhérents à la pédagogie Steiner Waldorf (SW), je ne peux que vous conseiller la série « Écoles Steiner-Waldorf” de la chaîne Youtube Skeptics in the Pub – Valais, avec Grégoire Perra et Stéphanie de Vanssay (conseillère nationale au secteur éducation). On peut très rapidement résumer le problème des écoles SW par un endoctrinement des écoliers, et un enseignement – souvent dissimulé – de la vision anthroposophique du monde, pratique souvent dénoncée par l’UNADFI (Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes).
Une enquête des plus complaisantes.
Revenons à notre dossier Enquête du journal Le Monde.
Les cinq articles sortis sont d’une complaisance extrême vis-à-vis de l’anthroposophie, c’est éthiquement questionnable mais ce ne serait que peu de chose sans compter que les interviews à charge contre la pédagogie Steiner-Waldorf ou contre la biodynamie ont été systématiquement tronquées ou mal interprétées, ajoutant un flou journalistique.
À commencer par le titre du dossier : “Rudolf Steiner, un penseur alternatif”. Sans point d’interrogation, c’est une affirmation, et de ce fait cela légitimise quelque part une vision erronée de la réalité telle que la percevait Steiner, et après lui les anthroposophes. Car oui, la vision du monde de Steiner lui est venu tout droit des “arcanes akashiques”, une bibliothèque invisible et accessible uniquement aux initiés. Mais attendez donc la suite.
Un dossier troublant.
L’article le moins problématique est sans doute celui sur la biodynamie, loin d’être parfait mais certainement le moins complaisant de tous. Avant d’avoir été interviewé par téléphone, j’avais demandé à la journaliste en question les sources d’études qu’elle allait utiliser concernant l’agriculture biodynamique. Parmi ces sources, un lien à côté duquel j’étais passé avant le rendez-vous :
https://goetheanum.notion.site/Biodynamie-tudes-scientifiques-2a770404d8ef4a77b6373252e8c8967f
Si on remonte l’arborescence de ce site, on tombe sur un dossier complet du “goetheanum”, écrit par Louis Defèche en personne. Le goetheanum est le siège de l’anthroposophie, et Louis Defèche est un communiquant anthroposophe qui tient notamment le site Æther.
En réalité, les articles du dossier d’enquête du Monde sont tirés, à peu de chose près, de ce site.
Le fait que les contradicteurs n’aient pas été pris au sérieux, le ton complaisant des journalistes et ce fameux dossier envoyé par le goetheanum, posent la question de la neutralité des journalistes du Monde concernant l’anthroposophie.
L’affaire est partie de Twitter et a d’abord été relayée par Antoine Daoust dans cet article de Fact&Furious. Puis c’est Jean-Loup Adénor de Marianne dans cet article payant intitulé “Ce que le monde ne vous a pas (vraiment) dit sur l’anthroposophie”. Et enfin Arrêt sur Image dans ce dernier article (en deux parties gratuites) de Loris Guémart qui résume très efficacement l’affaire : “Série sur Steiner : Le Monde sous le feu des critiques”.
Une vieille amitié entre le journal Le Monde et l’anthroposophie.
On pourrait à ce stade se demander si le dossier est une erreur regrettable de la part de Aureliano Tonet et ses collaborateurs, mais le journaliste assume sa position comme on peut le voir dans cette réponse (image jointe) à un commentaire de L1413_ sur la page du journal.
Il n’en fallait pas plus pour qu’une internaute, Natalia Trouiller, fasse un travail fastidieux d’enquête au cœur des archives du quotidien, travail relayé ici par Citizen4Science. Armée de patience et recherchant avec les mots-clés “Rudolf Steiner”, “biodynamie” et “anthroposophie”, elle révèle de nombreuses occurrences de ces termes depuis 1944, et par-là même que la complaisance du dossier de l’été s’inscrit dans la continuité de la ligne éditoriale du journal quand elle parle de l’anthroposophie.
Cyril Gambari