Cheng et al., 2007 : la review qui aurait dû mieux nous préparer au Covid-19
Ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux notamment, circule la mention d’une review (synthèse d’articles scientifiques sur un sujet donné à un temps t pour en tirer un consensus) réalisée en 2007 par une équipe de scientifiques de l’Université de Hong Kong. Elle a pour titre littéral « Le coronavirus responsable du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SARS) comme agent d’une infection émergente et réémergente » et son contenu est accessible ici. Comme souvent dans les articles scientifiques, le titre laisse déjà entrevoir ses conclusions (à noter notamment le qualificatif de « réémergente »). Il s’agit d’une analyse de 434 articles scientifiques ayant traité de la première épidémie de coronavirus qui a eu lieu en 2003 au départ de la Chine ; elle permet de mieux comprendre l’historique d’apparition et de transmission de ce virus, comment elle s’est transmise d’animaux sauvages aux humains, et enfin en quoi la pandémie actuelle est liée à sa « cousine » des années 2000 et comment nos autorités auraient pu mieux la prévoir et la gérer. Le contenu de cette review étant lourd (35 pages dont 10 de références, soit 434 articles scientifiques analysés), nous allons essayer d’en retranscrire le contenu principal de façon la plus vulgarisée possible.
Pour commencer, les quelques lignes d’introduction méritent à elles seules une traduction dans leur ensemble :
« Le coronavirus responsable du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (ou SARS-CoV) est un nouveau virus qui a causé la première pandémie majeure du deuxième millénaire. La croissance économique rapide en Chine du Sud a provoqué une demande croissante en protéines animales, dont celles issues des animaux de gibier sauvage comme les civettes. Les grandes quantités et variétés de ces animaux mis en cages surpeuplées d’une part, et le manque de mesures de biosécurité dans les marchés de produits frais d’autre part, ont permis au virus de passer des animaux aux humains. Sa capacité à se transmettre d’humain à humain, le manque de manque de sensibilisation au contrôle des infections dans les hôpitaux ainsi que les vols internationaux ont facilité la dissémination rapide et globale de cet agent infectieux. Plus de 8000 personnes ont été infectées, avec un taux de mortalité brut de 10%. Les conséquences dramatiques sur les systèmes de soin de santé, les économies et les sociétés en à peine quelques mois au début de l’année 2003 ont été sans précédent depuis la dernière pandémie de peste. La faible réémergence du SARS fin 2003 suite à la reprise des marchés d’animaux sauvages en Chine du Sud ainsi que la découverte récente d’un virus très similaire chez les chauve-souris rhinolophes […] suggère que le SARS peut faire son retour si les conditions sont favorables à l’introduction, la mutation, l’amplification et la transmission de ce dangereux virus. Dans cette étude, nous passons en revue la biologie du virus en relation avec l’épidémiologie, la présentation clinique, la pathogénèse, le diagnostic de laboratoire, les animaux-modèles ou hôtes-modèles d’étude, ainsi que les options de traitement, d’immunisation et de contrôle de l’infection. »
On apprend dans la première partie que le SARS-CoV est l’un des 36 virus de la famille des coronavirus, dont certains sont déjà connus comme pathogènes chez l’humain et les animaux. Les auteurs expliquent que l’isolation du virus en laboratoire se fait par des cultures de différentes lignées cellulaires infectées, par exemple du foie de singe. Autre fait notable, il possède une plus grande stabilité dans l’environnement par rapport aux autres coronavirus que l’on connaît, c’est-à-dire qu’il « tient » plus longtemps en moyenne sur divers types de surfaces (par exemple 2 à 3 jours sur des surfaces sèches). Ces caractéristiques permettent donc déjà de classifier ce virus comme potentiellement dangereux pour l’humain.
Au niveau de sa composition, on trouve un ARN comme matériel génétique (molécule semblable à l’ADN mais à simple brin et capable d’être directement traduite en protéines sans passer par l’étape intermédiaire de transcription comme c’est le cas pour l’ADN) ainsi que des protéines que le virus utilise pour la transcription (passage de l’ADN de la cellule-hôte en ARN) et la réplication (fabrication de copies de son ARN) ainsi que des enzymes appelées protéases qui auront pour but de « couper » les grosses protéines que le virus va produire dans la première étape de son cycle de réplication ; on trouve enfin, autour de la capside virale, des protéines de surface qui permettront au virus de s’attacher et d’entrer dans la cellule-cible, formant une « couronne » qui lui a donné son nom.
Une fois que le virus a pu pénétrer dans sa cellule-cible, son cycle de vie se déroule comme suit :
- libération de l’ARN viral dans la cellule
- production de 2 grosses protéines qui sont coupées par les protéases
- utilisation des « coupures » comme machinerie de réplication virale et réplication de l’ARN viral en 8 copies
- formation de vésicules contenant une copie d’ARN et des protéines structurales
- assemblage de nouveaux virus dans des organites spécialisés de la cellule-hôte
- bourgeonnement et libération des virus dans le corps pour aller infecter d’autres cellules
On notera qu’au moment de se fixer sur la membrane de la cellule-cible, le virus vise un type de récepteur membranaire particulier, appelé ACE2, qu’on retrouve exprimé à la surface des cellules de plusieurs organes, dont les poumons. Les auteurs citent des études ayant montré que chez la souris, ce récepteur permet de protéger l’organisme contre des lésions pulmonaires aiguës ; il est donc logique qu’en se fixant à ces récepteurs, le virus bloque leur rôle protecteur et engendre des dommages pulmonaires importants. Les auteurs précisent également que bien que des agents lysosomotropiques puissent bloquer l’entrée du virus dans la cellule-cible (ces agents s’accumulent dans les lysosomes, des organites cellulaires servant à dégrader les déchets), l’activation d’une protéine membranaire particulière du virus peut outrepasser cette inhibition. Autrement dit, l’action de tels agents (dont la fameuse chloroquine fait partie) diminue l’acidité des lysosomes et empêche donc l’acidification requise par le virus pour infecter la cellule, toutefois ce dernier est capable de contourner cet effet.
Dans la partie suivante, les auteurs nous en apprennent plus sur l’historique de l’épidémie de 2003 : elle a touché 8096 personnes et causé le décès de 774 d’entre elles, ce qui donne un taux de mortalité de près de 10%, comme énoncé dans l’introduction. La maladie a touché 30 pays sur les cinq continents. La deuxième personne à avoir contracté le virus constitue un cas intéressant : il s’agissait d’un chef cuisinier travaillant dans un restaurant à Shenzhen, au sud de la Chine. Il avait des contacts réguliers avec du gibier sauvage et a contaminé de nombreuses personnes, dont une a subi une biopsie qui a permis de découvrir le virus et lui donner son nom de SARS-CoV. Des prélèvements sur des animaux ont permis de déceler la présence du virus chez des civettes et des chiens viverrins sur des marchés animaliers, ce qui a conduit à un abattage massif et une mise en place de contrôle des marchés ; cela aura joué un rôle important pour contenir l’épidémie. Si le virus est devenu aussi virulent chez l’humain, c’est parce qu’il a subi des mutations par rapport aux souches d’animaux sauvages (0,2% de son génome est différent entre le virus pathogène humain et celui des animaux). Par ailleurs, les prélèvements effectués sur divers animaux tels les rats ou le bétail n’ont pas permis de déceler la présence du virus ; cependant, les chercheurs ont trouvé des virus semblables au SARS-CoV chez des chauve-souris rhinolophes (qu’on appelle « fer à cheval » ou horseshoe en anglais), avec un génome à 90% semblable au pathogène humain, ce qui suggère que ces chauves-souris constitueraient le réservoir de virus de type SARS-CoV dans la nature.
Les cas cliniques ont permis de déceler des caractéristiques semblables à celles de la pandémie actuelle : l’incubation du virus chez son hôte dure entre 2 et 14 jours (bien qu’on ait répertorié quelques cas d’incubation plus longue) avec une moyenne de 2 à 4 jours, et la transmission se fait généralement à partir du cinquième jour d’incubation (contre par exemple deux pour la grippe saisonnière).
Dernier point important abordé de la part des auteurs : le problème de la transmission du virus dans les établissements de santé (infections nosocomiales). Ils disent qu’en raison de la stabilité physique du SARS-CoV dans l’environnement, l’absence d’immunité protectrice chez la majorité de la population mondiale et le manque d’antiviraux efficaces ou d’un vaccin, le contrôle de la propagation de l’infection reste le moyen principal pour éviter la transmission de personne à personne si de futures épidémies venaient à se manifester : la détection précoce des cas suspects, leur « triage » (les séparer des autres types de patients) et leur isolation rapide sont les mesures principales à prendre pour éviter la transmission nosocomiale. À Singapour par exemple pour la pandémie actuelle, les autorités ont appliqué ces mesures avec succès.
Précisons avant d’aborder la conclusion que nous avons volontairement sauté les parties plus techniques à propos des différents types de tests existant pour diagnostiquer le virus en laboratoire, les changements cellulaires et moléculaires provoqués par l’infection ou les différents tests de vaccins qui n’ont rien donné de solide et concluant à large échelle. Pour les lecteurs que cela intéresserait, nous vous renvoyons vers le lien donné en début d’article.
À l’image de l’introduction, la conclusion mérite également d’être traduite dans son ensemble. La question que les auteurs posent est : « Devrions-nous nous préparer à une réémergence du SARS ? » et voici leur réponse :
« La communauté médicale et scientifique a fait preuve d’efforts incroyables pour comprendre et contrôler le SARS en peu de temps, comme en témoignent les plus de 4000 publications disponibles en ligne. Malgré ces prouesses, des inconnues subsistent en ce qui concerne :
- les connaissances sur la stabilité physique et la transmissibilité de ce virus
- la pathogénèse de la maladie chez l’humain
- des tests de dépistage des cas précoces ou suspects de SARS
- des procédures de contrôle de l’infection qui soient infaillibles pour les soins aux patients
- les antiviraux efficaces ou les combinaisons d’antiviraux
- l’utilité d’agents immunomodulateurs pour les cas tardifs
- un vaccin efficace sans besoin de renforcement immunitaire complémentaire
- et l’hôte animal direct qui a transmis le virus aux civettes en cage sur le marché au début de l’épidémie.
Les coronavirus sont bien connus pour être capables de subir une recombinaison génétique, qui peut conduire à de nouveaux génotypes et donc de nouvelles épidémies. La présence d’un grand réservoir de virus de type SARS-CoV chez les chauves-souris rhinolophes, ainsi que la culture de la cuisine de mammifères exotiques dans le Sud de la Chine, est une bombe à retardement. La possibilité d’une réémergence du SARS et d’autres nouveaux virus provenant d’animaux ou de laboratoires et donc la nécessité d’y être préparé ne devrait pas être ignorée. »
Nous étions donc prévenus…
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Traduction et synthèse par Mathias Bonnal
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